Panama Papers

Amandine LAURENS billets d'humeur

Un son dissonant dans le concert des prudes:

– Panama Papers, c’est grave, non?

– Oui, très grave. Mais aussi beaucoup plus complexe que les discours ambiants.

– Ben, y a quoi de complexe? Des riches camouflent leurs richesses sous les cocotiers car non contents d’ĂŞtre riches ils ne veulent pas payer d’impĂ´t. C’est juste Ă  vomir.

– Tu as raison. Tout ceci est scandaleux, ce système doit ĂŞtre condamnĂ©. Toujours plus. Encore. L’avènement de l’égoĂŻsme comme ligne de vie. Regarde les 20.000 Ă  30.000 retraitĂ©s « moyens » français qui ont fui fiscalement au Portugal, c’est pareil tout ceci. La lutte contre la fraude fiscale progresse. C’est une bonne nouvelle. Mais ce nouveau scandale ne soulève-il pas d’autres questions?

– Lesquelles?

– L’hypocrisie de tout ceci. Pourquoi personne ne se demande oĂą sont les riches AmĂ©ricains dans ces listings? Tu as vu un seul nom? Ça ne t’Ă©tonne pas qu’aucun journaliste n’ait parlĂ© du Delaware, du Nevada, des CaĂŻmans ou des Bahamas qui sont le Panama des US? A qui profitent toutes ces rĂ©vĂ©lations?

– Tu crois? C’est pas un peu thĂ©orie du complot ton truc?

– Je constate, c’est tout… Tu savais que l’Ă©change bancaire automatique FATCA imposĂ© au reste du monde par les US n’est pas rĂ©ciproque?

– Non!?!

– Ben si. En clair, le plus simple pour camoufler l’argent ce sera bientĂ´t de le dĂ©poser aux States… Une off-shore du Delaware ne nĂ©cessite pas de fournir le nom du bĂ©nĂ©ficiaire Ă©conomique final si tu n’es pas US resident! Mieux que Mossack Fonseca… Pas de crainte de fuite, ces informations n’existent pas. Comme au Panama avant 2009. Tout ça relève de la lutte d’influence, d’une guerre Ă©conomique et financière. Les US dĂ©stabilisent la vieille Europe. L’onde de choc est considĂ©rable : chute du premier ministre en Islande, planète foot Ă  nouveau en Ă©bullition en Suisse, banques françaises retranchĂ©es, Cameron qui avoue ses avoirs de 30.000 ÂŁ dans un fond off-shore familial… C’est en Europe. Tu crois rĂ©ellement que cette affaire va changer d’un iota les choses en Afrique? Tu penses que sans le Panama le scandale des mines en RDC n’existerait pas ? En Chine? Au Maroc ? Et en Russie? Soyons sĂ©rieux! Qui va profiter de tout ceci? S’il est, bien sĂ»r, souhaitable d’aller plus loin, il faut y aller avec discernement et sans naĂŻvetĂ©.

– Ben!?!

– Et puis, ca ne te gĂŞne pas ces noms offerts en pâture? Ces amalgames entre les politiques et leurs pots de vin, la corruption, les fortunĂ©s et ceux qui en tant que ressortissants d’autres pays utilisent les sociĂ©tĂ©s Ă©crans par souci de confidentialitĂ© et ce tout Ă  fait lĂ©galement. Et le nom du père de tel ou tel ? Le fils, il y est pour quoi dans cette histoire ? C’est pourtant lui qui est sali… Tu penses sincèrement que tous sont Ă  mettre dans le mĂŞme sac? On les brule? Un pogrom? Et les disparitĂ©s fiscales europĂ©ennes ? Et les retraitĂ©s du Portugal ? Tu crois que le grand public peut faire la distinction? La vox populi condamne dĂ©finitivement. Sans appel. UnilatĂ©ralement. Il n’y a plus de pain pour tout le monde, alors on offre du sensationnel, on livre du sang, les jeux romains.

– Oui ben, c’est un dommage collatĂ©ral. Ça ne peut plus durer. On ne fait pas d’omelette sans casser les oeufs.

– C’est vrai. Tu as raison sur ce point. Mais faut pas ĂŞtre un oeuf innocent… Tu ne t’es jamais demandĂ© pourquoi ces paradis existent? Pourquoi aucun de ces journalistes d’investigation ne se questionne sur le niveau des prĂ©lèvements obligatoires en France? Comment font les autres pays? Ils ne sont pas tous sous dĂ©veloppĂ©s, non? Pourquoi ne pas se prĂ©occuper, jamais, des causes de tout ceci? C’est bien gĂ©rĂ© la France?

– Oui, ce n’est pas faux…

– Et puis c’est quand mĂŞme bien hypocrite tout ceci. Qui sait que l’argent n’a jamais mis les pieds au Panama? Tu sais oĂą il est l’argent?

– Non

– Ici. En Europe. Il fait tourner l’Ă©conomie. Aussi. Mais personne ne le dit en ce moment. Dans des banques bien respectables, bien françaises. Dont l’Ă©tat est l’associĂ©, dans lesquelles il dispose de sièges aux conseils d’administration. La plus grande partie de l’immobilier de luxe français est dĂ©tenu par ce type de sociĂ©tĂ©s Ă©crans. Pas de plus values pour ces gens. L’administration le sait bien puisqu’elle dispose d’un ficher de tous les propriĂ©taires. Ça laisse un gout amer, non? La France est complice quand tout ceci l’arrange… Mais pas qu’elle. La lutte contre l’Ă©rosion des bases fiscales, pour reprendre le terme inventĂ© par l’OCDE, doit se faire Ă  la fois en luttant contre la fraude et en rapprochant les systèmes d’impĂ´t. Sinon, les entreprises fuiront les paradis, mais elles abandonneront aussi les enfers pour installer leurs usines et les bureaux dans de doux purgatoires comme l’Irlande, les Pays-Bas ou le Delaware. Seul le gouvernement en sursis du Luxembourg ne semble plus le comprendre et va couler la compĂ©titivitĂ© du pays. Or, en matière d’impĂ´ts sur les entreprises, la France est le royaume d’Hadès. Mais, ce rapprochement est très difficile car il ne pourra s’envisager que sur des bases mĂ©dianes et la France ne veut pas en entendre parler. Les autres devraient s’aligner sur ses taux… Ben voyons…

– Pas clair, effectivement.

– Au delĂ , est-ce rĂ©ellement un scoop pour toi que certains de nos gouvernants perçoivent des pots de vin? Des rĂ©tro commissions? Quelle nouveautĂ©!!! Et donc? RĂ©sultat? Tous pourris, on vous le disait bien… Et alors? Que va faire le peuple nouvellement Ă©clairĂ©? Voter pour les antisystèmes? Il semblerait bien que ce soient les pires… Mais ce sera vite oubliĂ©. Une pirouette. Un discours sur le Luxembourg, un autre sur la mondialisation, un bloc de bon bĂ©ton autour de tout cela (tiens…) et Ă  l’eau… Seules resteront la rancune, l’aigreur, les amalgames. Aura-t-on avancĂ©? Aura-t-on reculĂ©? Je crains qu’il ne soit jamais bon d’entretenir la dĂ©magogie, fut-ce pour vendre des journaux? N’es-tu pas surpris par la forme retenue: le feuilletonage… Nouvelle approche de l’investigation. Je me suis toujours mĂ©fiĂ© des Savonarole. Des redresseurs de torts, censeurs des certitudes.

– Pas de solution alors?

– Si mais elles sont difficiles. Il faut partir Ă  la racine du mal. De la dĂ©finition du rĂ´le de l’Etat, repenser sa gestion, la politique fiscale qui doit rester tolĂ©rable et jamais dogmatique. Les solutions vont exiger des efforts. Qui veut en faire? La sociĂ©tĂ© est repliĂ©e, rigide et conservatrice. Corporatiste. Sans vision, ni projet. Moi, je suis plus inquiet par le Brexit et les annonces fiscales des UK, que par quelques panamĂ©ennes. CrĂ©er un Tribunal International des Comptes Publics (TICP) pour juger nos dirigeants de crime imprescriptible de creusement des dĂ©ficits publics ? L’impĂ©ritie en matière de comptes publics se chiffre en centaines de milliards d’€uros. C’est pas le Panama ça, plutĂ´t le PĂ©rou pour certains ! On amuse le peuple. On l’excite. C’est toujours dangereux. La loi fiscale n’est pas faite pour ĂŞtre juste mais pour Ă©viter l’injuste. Toute loi diffĂ©rente quels qu’en soient les motifs (bons sentiments, dogmatisme, Ă©galitarisme) est liberticide. Prendre Ă  certains pour donner Ă  d’autres sans l’accord des certains et si les autres avaient du commettre un dĂ©lit pour l’obtenir est une loi liberticide, et cet aspect doit ĂŞtre mesurĂ© et pesĂ© pour pouvoir ĂŞtre acceptĂ©, pour recueillir l’adhĂ©sion et le consentement.

– Bref, bien Ă©loignĂ© des bĂŞtises de cash investigator?

– Je le crains. Quand le sage montre la lune, le simple regarde le bout du doigt…

Par Philippe LAURENS

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