Actualités juridiques et fiscales

La notion de substance directionnelle d’une société luxembourgeoise

Les notions de substance d’une société établie dans un pays étranger, et notamment au Luxembourg, intéressent l’ensemble des professionnels.

Cette notion de substance regroupe des éléments objectifs liés aux critères établis par l’OCDE en matière de substance organisationnelle (matérielle, financière et humaine). À ce titre, la société doit détenir l’ensemble des éléments nécessaires à la réalisation de ses activités : local indépendant avec une clef d’accès, salarié(s), immobilisations, internet, téléphone, archives, etc…

La CJUE a précisé dans les arrêt « danois » du 26 février 2019 que chaque fois qu’un contribuable prétend à l’obtention d’un avantage fiscal découlant du droit européen (par exemple, la directive « mère-fille ») au moyen d’une « construction purement artificielle », les États membres ont l’obligation de refuser l’octroi de cet avantage (Affaires C 116/16 et C 117/16). La Cour précise que la preuve d’une pratique abusive est subordonnée à la réunion de circonstances objectives et d’un élément subjectif. Un ensemble de circonstances objectives doit être apporté pour montrer que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l’Union, l’objectif poursuivi par cette réglementation n’a pas été atteint. En outre, l’élément subjectif à démontrer doit résider dans la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation de l’Union en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention.

La Belgique, après son échec dans l’affaire Belgacom, réactive ses exigences en matière de substance économique et le fisc s’intéresse aux motifs qui ont présidé à la création, au transfert et à l’activité économique réellement exercée par la société.

À la veille de l’entrée en application de la future directive ATAD3, le Conseil d’État, en France vient de rendre un arrêt important en matière de substance liée à la direction effective d’une société (CE 15 mars 2023 d’Espous, n°449723).

Dans cette affaire, une holding, devenue luxembourgeoise après son transfert de France, détenait plusieurs filiales en France. Son bénéficiaire économique, résident fiscal français entendait percevoir des dividendes de la société holding luxembourgeoise sous le bénéfice de la convention bilatérale et après paiement de la retenue à la source sur ces dividendes au Luxembourg, il souhaitait bénéficier du crédit d’impôt conventionnel.

L’administration fiscale française lui a refusé le bénéfice du crédit d’impôt égal à la retenue à la source au motif que la holding n’était pas domiciliée fiscalement au Luxembourg. Pour rappel, ce crédit d’impôt s’applique à titre conventionnel sur les dividendes payés par une société qui a son domicile fiscal dans un état contractant à une personne qui a son domicile fiscal dans l’autre état contractant.

La tenue des assemblées générales et des conseils d’administration au Luxembourg sont insuffisants lorsqu’il apparait que les décisions stratégiques sont, en fait, prises depuis la France.

Quels étaient les faits de l’espèce ?

  • La holding ne disposait que d’un local de 13 m2 mis à disposition par une société de domiciliation ;
  • L’entreprise de domiciliation facturait la mise à disposition d’un administrateur unique de la holding ;
  • Elle n’employait, au Luxembourg, qu’un salarié de la même société de domiciliation pour quelques heures par semaine ;
  • Les relevés bancaires luxembourgeois de la holding étaient adressés en France par les banques luxembourgeoises et ont été saisis en France chez l’expert-comptable français des filiales ;
  • Des ordres de virement bancaire et des ordres de mouvement de titres ont été émis depuis la France ;
  • Les contrats, à l’exception de deux contrats de prêt, liant la société luxembourgeoise aux filiales françaises étaient signés en France par le bénéficiaire économique ;
  • Les décisions de gestion étaient prises par le bénéficiaire économique depuis le siège parisien de ses affaires, notamment les vérifications et validations des déclarations de TVA de la société luxembourgeoise.

Le Conseil d’État a considéré que le fait qu’une société ayant son siège social au Luxembourg tienne au Luxembourg ses assemblées générales et ses conseils d’administration ne suffisait pas pour considérer que son centre effectif de direction se situait dans ce pays : « il s’ensuit que la cour n’a commis ni erreur de droit, ni erreur de qualification juridique des faits en déduisant de l’ensemble de ces éléments, et alors même que la (société luxembourgeoise) tenait ses assemblées générales et ses conseils d’administration au Luxembourg, que le centre effectif de direction de cette société se situait en France ».

Il est important de rappeler que les juges se basent sur un ensemble d’indices pour déterminer le siège de direction effectif.

Dans ce contexte, il est primordial que la société établie à l’étranger y dispose d’un local propre auquel elle peut accéder librement et à toute heure.

La société doit en outre détenir au siège social :

  • les archives et documents essentiels ;
  • les registres juridiques ;
  • les relevés bancaires ;
  • les factures, les éléments comptables et tous documents nécessaires à la gestion quotidienne ;
  • les moyens de communication, infrastructures matérielles, administratives et techniques adaptés à la réalisation effective de l’activité de la société.

Les contrats liant la société à d’autres entités doivent être conclus au Luxembourg et soumis, si possible, au droit luxembourgeois et à la compétence des tribunaux luxembourgeois.

Sa comptabilité doit être tenue par un professionnel local qui supervise les aspects déclaratifs fiscaux.

La société doit disposer majoritairement d’administrateurs locaux dont le nombre et l’activité ne sauraient être compatibles avec un unique administrateur mis à disposition temporaire.

Plus généralement, aucun document concernant la société étrangère ne doit se trouver dans un pays étranger à celui de son siège social.

Pour conclure, si la Haute Juridiction a refusé le bénéfice du crédit d’impôt au contribuable, il convient de noter qu’elle lui a accordé, contre l’avis de l’administration, le bénéfice de la déduction du revenu imposable de la retenue à la source luxembourgeoise sur le fondement de l’article 122 du code général des impôts.

 

Me Philippe LAURENS
Avocat aux barreaux de Luxembourg et de Montpellier
Nexus Luxembourg

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