Actualités juridiques et fiscales

Le diable est dans le détail : établissement stable et TVA

Une filiale étrangère est-elle constitutive d’un établissement stable d’un holding luxembourgeois ?

Le Conseil d’État, en France, vient de rendre un arrêt en ce sens le 15 juin 2023 (Worldwide Euro Protection, n°465719).

La société holding luxembourgeoise avait rendu des prestations techniques, administratives, juridiques et fiscales à deux de ses filiales en France.

Classiquement, s’agissant de prestations immatérielles, elles avaient été facturées comme des échanges intracommunautaires en provenance du Luxembourg et avaient fait l’objet d’une autoliquidation, en France, par les deux filiales, preneuses.

Telle n’a pas été la vision de l’administration fiscale française, vision confirmée par le Conseil d’État siégeant en chambres réunies.

Les faits de l’espèce :

En l’espèce, l’administration a constaté que la société luxembourgeoise ne disposait :

  • Que d’un bureau de 12, 5 mètres carrés au Luxembourg ;
  • Que ce bureau ne permettait pas à ses salariés d’y réaliser lesdites prestations ;
  • Que six de ses salariés étaient déclarés en France où ils étaient domiciliés ;
  • Que quatre d’entre eux étaient également salariés de l’une des filiales françaises.

Ce faisant, elle a considéré que la filiale française était constitutive d’un établissement stable en France de la société luxembourgeoise.

Pour rappel, une filiale peut constituer un établissement stable de sa société mère, cette qualification dépendant des conditions matérielles énoncées par le règlement d’exécution n°282/2011, notamment son article 11, qui doivent être appréciées à la lumière de la réalité économique et commerciale (CJUE, 7 mai 2020, Dong Yang Electronics, aff. 547/18, § 30 à 38).

Selon ces dispositions du règlement, l’établissement stable désigne tout établissement, autre que le siège de l’activité économique, qui se caractérise par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, en termes de moyens humains et techniques, lui permettant de fournir les services dont il assure la prestation.

L’administration a estimé que la société luxembourgeoise avait réalisé les prestations litigieuses par l’intermédiaire de la filiale française, et partant d’un établissement stable en France au sens de l’article 53 du règlement d’exécution du 15 mars 2011.

Elle a considéré que la société luxembourgeoise devait être regardée comme la redevable légale de la TVA afférente à ces prestations avec application d’une majoration importante de 80% pour activité occulte.

En effet, lorsque le contribuable n’a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu’il était tenu de souscrire, ni fait connaitre son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe d’un tribunal de commerce, son activité est réputée occulte.

La société luxembourgeoise n’a pas pu démontrer qu’elle aurait déclaré les revenus tirés de l’activité de son établissement en France aux autorités luxembourgeoises au titre de l’impôt sur les sociétés et n’a donc pas pu bénéficier du tempérament lié à une « erreur justificative ».

La portée de la décision :

Cette décision présente un double intérêt.

  • Il s’agit d’une confirmation du raisonnement tenu dans la décision de plénière Conversant du 11 décembre 2020 (CE, plén. fisc., 11 déc. 2020, n° 420174, Min. c/ Sté Conversant International Limited) au sujet de la possibilité pour une société non résidente en France de disposer, en France, d’un établissement stable situé dans une de ses filiales française.

Il convient de noter que cette décision peut paraitre contraire à la jurisprudence de la CJUE du 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini SRL (CJUE, 7 avr. 2022, C-333/20, Berlin Chemie A. Menarini SRL : FI 3-2022, n° 3, § 11, comm. A. Moraine) selon laquelle il ne peut y avoir un établissement stable dans une filiale d’un autre État membre réalisant des prestations de services pour la mère qu’à la condition que les mêmes moyens ne soient pas utilisés pour fournir et recevoir les mêmes services.

Mais le Conseil d’État a estimé qu’une telle identité de moyens n’a jamais été évoquée en appel et ne ressortait pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond.

  • Cette affaire précise enfin le maniement de la jurisprudence de plénière du 7 décembre 2015, c/ Sté Frutas y Hortalizas Murcial SL (CE, plén. fisc., 7 déc. 2015, n° 368227, Min. c/ Sté Frutas y Hortalizas Murcia SL : Rec. Lebon, p. 423) relative aux conditions de mise en évidence d’une activité occulte et permettant à un contribuable d’établir qu’il a commis une erreur justifiant qu’il ne se soit acquitté d’aucune de ses obligations déclarative et d’échapper ainsi à l’application de la pénalité pour activité occulte prévue à l’article 1728 du code général des impôts (CGI).

Les critères de la jurisprudence Min. c/ Sté Frutas y Hortalizas Murcial SL étaient inapplicables, car imaginés pour l’impôt sur les sociétés (cf. niveau d’imposition dans l’État où la société prétendait être établie et niveau de coopération entre les deux administrations) alors qu’il s’agissait, dans le cas présent, de TVA.

Mais le Conseil d’État s’est appuyé sur la circonstance que la société n’a pas déclaré au Luxembourg, au titre de l’impôt sur les sociétés, les revenus tirés de son activité qu’elle soutenait avoir exercée depuis ce pays et non au travers d’un établissement stable en France.

L’arrêt n’indique pas si la société luxembourgeoise avait souscrit, au Luxembourg, une déclaration d’échange de services (DES) auprès des autorités douanières luxembourgeoises mais il y a tout lieu d’en douter.

À trop vouloir gagner, on finit par tout perdre…

 

Me Philippe LAURENS
Avocat aux barreaux de Luxembourg et de Montpellier
Nexus Luxembourg

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